Tuesday, March 23, 2010






Monte Rosa (4,634m–15,204ft) 4 Août 2007









Le Mont Rose est le second sommet des Alpes.  Il est situé entre la Suisse et l’Italie.  On peut voir son immense glacier rose scintiller au soleil couchant de très loin dans les Alpes, jusque des Alpes du Sud.  Toute mon enfance je me souviens contempler cette imposante montagne à partir des pistes de ski des Alpes-Maritimes, sans imaginer que je la gravirai plus tard dans ma vie.
Son ascension ne présente pas de difficulté technique particulière, mais la difficulté réside dans l’altitude, le froid et le vent.  J’allais donc avoir mon baptême des 4000m et j’étais jubilante et anxieuse à la fois.
Ayant pris quotidiennement la météo fin Juillet, nous avons fini par repérer une fenêtre de trois jours de grand beau temps pour début Août.
André L appelle aussitôt le refuge Gnifetti, situé sur le versant Italien du Mont Rose, pour réserver et il apparaît que nous ne sommes pas les seuls à avoir cette idée (tout le monde prends les mêmes prévisions météorologiques) puisqu’il ne reste que sept places.  Il les réserve toutes.
Rifugio Gnifetti est un refuge monumental, l’un des plus hauts d’Europe (3647m). Construit en 1878, il a été agrandi et modernisé plusieurs fois.  Il peut abriter 250 personnes en été et 15 en hiver.  C’est une sorte d’usine imposante, agrippée au rocher et au glacier.  Tous ceux qui y ont dormi ont une histoire à raconter et nous avons été alertés à propos des repas chers et médiocres, du risque de vol et surtout du bruit et de l’agitation qui nous empêcherait à coup sur de dormir. Mais malgré cela je ne suis pas très anxieuse.  Je suis plus anxieuse à propos de la course que du refuge.
Nous avions tous rendez-vous à Villaroger Vendredi 3 Août en début d’après-midi pour être ventilés dans les voitures et partir ensemble vers Gressoney, dans la vallée d’Aoste, par le col du Petit St Bernard. Nous avions décidé de prendre deux télécabines pour raccourcir la partie de la marche d’approche la moins intéressante car à partir du haut des télécabines la montée au refuge est intéressante et pleine d’imprévus.  D’abord ce n’est pas une montée constante mais une succession de montées et de descentes (ce qui nous laisse présager du plaisir demain pour redescendre aux voitures, après la montée du matin).  Certaines portions sont ferrées et assez étroites et la dernière montée avant le refuge est plutôt verticale dans les rochers, surtout avec de lourds sac à dos. Mon sac à dos pèse 8kg.  Je l’ai allégé au maximum, comme d’habitude, en sciant le manche de ma brosse à dents pour gagner quelques grammes mais l’équipement pèse lourd et il n’y a rein à scier dans la sécurité.
En arrivant finalement au sommet du dernier mur, nous apercevons le refuge imposant.  Une longue traversée et nous y sommes.  Ayant été avertis par tant d’histoires horribles, ma première impression est plutôt bonne.  Bien sur il est gros mais très accueillant et chaud, surtout venant de l’extérieur où il commence à faire un peu froid.  Très joli aussi à l’intérieur parce que complètement recouvert de bois poli par des générations de grimpeurs.  La salle commune est sombre, parce que les fenêtres sont petites pour conserver la chaleur, mais vibrante de vie.
A notre arrivée, Camera 16 nous est attribuée.  Oui, à ma grande surprise, nous avons une petite cabine confortable pour nous sept seulement.  Les lits ont des draps et des duvets, luxe inouï a cette altitude et il y a même des couvertures supplémentaires car ici les nuits sont fraiches.
Nous nous installons rapidement et descendons au restaurant où une longue queue a déjà commence à se former.  Voyant la longueur de la queue, nous décidons de nous lever plus tôt que prévu le lendemain pour être les premiers dans la queue du petit déjeuner.  Le repas est chaud et je le trouve bon.  De toutes façons, tout ce qui est préparé pour moi et servi à cette altitude et après une longue montée est bon.  L’atmosphère est chaude et l’ambiance chaleureuse.  La foule est internationale. On entend de nombreuses langues, pas toujours reconnaissable d’ailleurs.
Bien que nous apprécions l’atmosphère et bien que nous soyons ensemble en harmonie, nous montons tôt dans nos couchettes parce que le lendemain sera un peu long sans doute, parce que nous devrons non seulement monter au sommet et redescendre mais aussi descendre ensuite ce que nous avons monté aujourd’hui parce que nous n’allons pas passer une autre nuit dans ce refuge.  Nous achetons de l’eau minérale au prix de l’or noir, parce que, bien que nous soyons accrochés à un glacier, il n’y a pas d’eau potable ici.  Les toilettes sont sèches mais c’est quand même une amélioration par rapport à l’absence de toilettes d’un passé encore récent.
En général je ne dors pas bien (ou même quelque fois pas du tout) en refuge, principalement à cause de l’angoisse de la course du lendemain mais cette nuit fut paradisiaque.  Silence total dans la cabine.  Aucun d’entre nous ne tousse ni ronfle.  La lune illumine le Mont Rose enfoui dans le total silence que l’on n’expérience que quand tout est .enseveli sous la neige qui étouffe les bruits.   J’ai dormi comme un bébé.
Debout de bonne heure, premiers dans la queue du petit déjeuner.  Bon petit déjeuner, céréales et thé chaud et nous voici partis dans la nuit avec nos frontales.  Et c’est ici que commence la torture.
Le vent est tombé et il fait autour de zéro degrés C.  La nuit est claire quand nous sortons du refuge, mais pas pour longtemps.  Le refuge utilise le fuel comme combustible et parfume la montagne au gas oil, ce qui n’est pas très agréable, surtout si tôt le matin et après une si courte nuit.  Nous devons d’abord descendre un échelle métallique verglacée pour prendre directement pied sur le glacier.  Là, nous chaussons nos crampons et nous nous encordons, nous avions déjà mis les baudriers au refuge.  Les deux André partent en première cordée, puis nous trois, Monique devant, moi au milieu et Pierre Olivier en queue.  La troisième cordée est composée de Philippe et Bruno.  Pierre Olivier n’a que 17 ans.  C’est le plus jeune de l’équipe mais il est déjà expérimenté.  Je suis émue parce que, si tout va bien, je vais passer aujourd’hui les 4000.
Nous démarrons dans la nuit noire.  Aussitôt une nappe de brouillard nous enveloppe, juste pour quelques minutes, mais juste assez longtemps pour que je sente ma peur enfouie refaire surface.  La pente est douce mais je sais que la montée sera longue, ayant contemplé cet immense glacier toute mon enfance de loin et récemment étudié soigneusement la carte au 25000e.  Nous passons les premiers mamelons et les voici, environ quinze minutes devant nous, deux grimpeurs qui ont du sauter le petit déjeuner du refuge pour partir plus tôt.  La nuit est maintenant déjà moins sombre, l’aube n’est plus très loin mais nous avons déjà passé de nombreux mamelons.  La pente n’est toujours pas très forte avec beaucoup de montées et quelques descentes.  Nous commençons à voir un peu devant nous mais pas encore le sommet.
Le jour se lève et les montagnes alentour commencent à revêtir leurs manteaux roses du matin.  Nous passons encore quelques mamelons et ca y est, nous voici dans l’étincelant soleil matinal.  Quand il illumine nos visages, c’est magique.  Nous nous arrêtons quelques minutes pour jouir de la douceur de la caresse du premier soleil du matin sur nos visages gelés et manger une barre de céréales.  Maintenant la pente commence à être un peu plus raide mais toujours pas aussi raide que certaines montagnes dont je me souviens avec délice.  Nous avons passé le seuil des 4000 sans que je m’en aperçoive.  Quand je jette un coup d’œil à mon GPS, je lis 4270m et je suis contente de ne rien ressentir de spécial, comme j’ai entendu tant d’histoires à propos de l’action de l’altitude sur le corps.  Je savais bien que j’étais indestructible.  Mais bientôt, aux environs de 4350, 4400, je commence à sentir que l’air est plus léger.  J’ai besoin de respirer plus souvent et surtout de ralentir un peu l’allure.  Il me semble que Monique ne ressent rien de spécial parce qu’elle maintient la bonne allure que j’aime tant, d’habitude, mais plus maintenant.  Elle tire quelquefois sur la corde, ce qui me fait accélérer mais je sais que si je veux atteindre le sommet qui est encore loin je dois ménager mes forces et je ne vais pas être capable de maintenir cette allure très longtemps.
Aussi, depuis un petit moment, nous commençons à sentir le vent fou et le froid féroce du sommet, ce qui ne m’aide pas.  Je me félicite d’avoir mis ma veste duvet, mes gants et chaussettes de soie et mes grosses moufles de ski.  Quand je faisais mon sac, j’avais peur de prendre trop de choses et d’avoir à les transporter pour rien mais non, je porte sur moi ab-so-lu-ment tout ce que j’ai emporté.
Monique commence à perdre patience.  Elle a l’air très fatiguée quand elle se tourne vers moi pour essayer de comprendre pourquoi je laisse la corde se tendre tant, son visage est gris de fatigue et elle commence à s’impatienter parce qu’elle croit que je fais exprès de me laisser tirer.  Comme nous avons déjà partagé la même cordée sans problème, elle pourrait suspecter que son allure est un peu trop rapide pour ma respiration saccadée et aussi je pourrais lui demander de ralentir un peu mais je n’ose pas.  Tout, autour de moi, est si étrange, si nouveau, je suis comme dans un rêve.  Je fais de mon mieux pour accélérer au maximum parce que je sais que si nous voulons atteindre le sommet, il n’y a pas de temps à perdre.  L’ascension est très belle par cette sensation qu’elle donne de glisser vers le haut sur cette fraiche crème fouettée dans l’immensité blanche, aussi loin que le regard peut porter.  Plus bas, la vallée est plongée dans un tendre brouillard bleuté.
En continuant à monter, nous apercevons, perché directement au sommet de la Pointe Gnifetti à 4554m, l’aérienne Cabanna Margherita, le refuge le plus haut d’Europe. Etrange construction, en équilibre sur la pointe, contrairement aux autres refuges des Alpes qui souvent se blottissent contre la montagne.  D’abord bâti en 1893, il fut reconstruit en 1980.  Sa position a été très contestée et se trouve encore au centre d’une controverse.  Il est dédicacé à la Reine Margherita de Savoie, qui y monta en 1893, elle avait alors 41 ans.
Nous ne sommes pas seuls sur cette montagne.  Nous pouvons voir derrière nous, assez loin, bien plus bas, de nombreuses cordées grimpant dans nos traces.  Le sommet sera encombré, si nous ne nous dépêchons pas.  Peu à peu, nous commençons finalement à apercevoir notre but.  A l’issue d’une longue courbe vers la gauche, nous atteignons enfin la dernière corniche avant le sommet.  Si près du sommet le vent est devenu absolument barbare et je découvre avec effroi que nous sommes séparés du sommet par un mur rocheux vertical.  Nous sommes tous arrêtés sur cette étroite arrête parce qu’il y a la queue.  Oui la queue à cette altitude parce que, pour des raisons de sécurité, nous devons laisser les deux grimpeurs qui étaient devant nous finir leur ascension avant d’attaquer la nôtre.
Soudain une rafale me plaque au sol de tout mon long dans la neige et je peux voir le précipice vertical des deux cotés de la corniche.  Mon cœur bat à se rompre.  Heureusement que nous sommes encordés parce que le vide de part et d’autre est impressionnant.  En plus, les deux André qui ont maintenant attaqué le mur rocheux nous signalent que la roche est couverte de glace vive et donc très périlleuse, même avec les crampons.  Ma peur atteint son comble et subitement je décide de m’arrêter la.  Je projette de me désencorder, de m’arrimer à mon piolet, solidement ancré dans la glace pour attendre Monique et Pierre Olivier et de les reprendre à la descente.
Heureusement nous attendons suffisamment longtemps pour me laisser le temps de reprendre mes esprits et de changer d’avis.  Malgré mon cerveau embrume par l’altitude et l’épuisement, je réalise que ce serait vraiment dommage d’être montée jusque là pour abandonner, si près du but.  Mon adage dans la vie a toujours été: « s’il peut le faire, je peux le faire ».  Donc je rassemble tout mon courage, détermination et le peu d’énergie qui me reste et me voilà prête à affronter le mur gelé.  Heureusement le mur est plus impressionnant que méchant et ma profonde concentration étouffe ma peur.  A 9h30 nous émergeons sur une étroite plate forme, juste assez grande pour porter les deux personnes qui nous ont précédés et nous sept.
La vue de là haut est splendide.  Cette fois-ci nous sommes bien plus hauts que tous les sommets alentours.  Je peux voir tout près mon sommet favori, la plus belle montagne des Alpes, à mon avis: le Matterhorn, et de nombreux autres sommets connus.  Bref moment de paix et de contemplation dans l’air raréfié, dans la pure immensité.  Moment inoubliable, joie absolue qui noue ma gorge.  Mais déjà nous sommes transis dans le vent cruel.  Nous commençons aussitôt avec circonspection la périlleuse descente du mur gelé.
Dès que nous prenons pied sur le glacier, je suis soulagée.  Le reste ne devrait pas poser de problème particulier.  Nous nous arrêtons un petit moment pour jouir du soleil et nous ravitailler rapidement.  Dans la descente nous rencontrons de nombreuses cordées qui montent ce qui nous donne du courage, puisque nous avons déjà atteint le sommet et sommes déjà en train de redescendre.  Plus bas il y a même une équipe qui tourne un film.
Nous progressons rapidement.  J’ai retrouvé mon souffle et nous sommes si hauts et la température est si basse que la neige du glacier nous porte bien.  Mais nous allons trop vite.  En nous retournant, nous voyons tout la haut, très loin dans la montagne, nos quatre camarades, arrêtes dans la pente.  Ils ont du être arrêtés depuis longtemps pour que nous ayons mis tant de distance entre nous.  Nous attendons un long moment, espérant que rien de grave ne soit arrivé.  Nous n’avons aucun moyen de communiquer.  Au moment où nous allons commencer à remonter vers eux, les voila qui démarrent vers nous.  Quand ils nous rejoignent, nous apprenons qu’Andre F a cassé son (vieux) crampon et qu’ils étaient en train d’essayer de faire une réparation de fortune pour lui permettre de finir la descente en sécurité.  Heureusement le pire est passé et en procédant avec précaution nous devrions arriver en bas en entier.
Plus nous descendons, plus nous croisons des cordées qui sont très tardives.  Les dernières n’atteindront certainement las le sommet aujourd’hui.  Il y a même sur le bas, non loin du refuge des « touristes » en short a 4000m.  Nous arrivons vers la fin du glacier et dès que nous atteignons les rochers du bas nous enlevons crampons et baudriers, roulons les cordes et nous arrêtons pour boire et manger, heureux d’être montes et redescendus sans encombre.  Parsemée dans les rochers il y a une foule de touristes contemplant le Mont Rose et essayant d’y repérer les cordées à la jumelle.  Mais il ne faut pas nous attarder parce que nous avons encore à descendre les 700m que nous avons montés la veille, en plus des 1000m de montée et descente que nous avons accomplis aujourd’hui.  Journée longue mais gratifiante.
Nous trouvons le chemin que nous n’avions pas trouvé la veille et qui nous permet de contourner le mur que nous avions dû escalader pour arriver au refuge.  L’équipement que nous avons porté sur nous toute la journée est maintenant dans les sacs à dos qui en sont alourdis.  Longue descente, bien plus longue que la montée de la veille.  Pourquoi est-ce toujours le cas en montagne? Le petit lutin des montagnes allonge toujours pour moi les descentes par rapport aux montées.  En plus nous croisons des hordes d’Italiens qui montent au refuge et dans les passages ferrés étroits il faut souvent nous arrêter pour laisser passer ces groupes démesurés.
Nous atteignons enfin les télécabines, juste avant 2h, heure à laquelle elles se remettent en marche, parce que, comme beaucoup de choses dans le Sud, elles se reposent entre midi et deux heures.  Enfin voici les voitures et en route vers la France.  Personne ne se dispute le volant après une si longue journée et une si courte nuit.

Nous nous arrêtons à Greyssoney pour prendre café, thé ou rafraichissements.  Là, sur la tranquille petite piazza Italienne, entourée de cafés terrasses où les touristes se prélassent paresseusement au soleil, nous pensons à ce matin, sur le glacier, comme à quelque chose qui serait arrivé il y a très longtemps ou peut-être dans un rêve, ou peut-être encore dans une vie précédente.  J’ai du mal à réaliser que nous étions il y a si peu de temps dans un environnement si différent.  Ces moments uniques ont scellé encore un peu plus notre amitié et nous discutons déjà du prochain sommet à gravir, si la météo le permet.


Les Etoiles de Midi – Journal d'une course glaciaire

Dôme de la Sache 3,601m (11,815ft) - 21 Août 2006


Ayant attentivement surveillé la météo pendant ces derniers jours, André décida que le jour le plus favorable pour la course glaciaire serait le lundi 21 Août.

Je suis donc descendue au Chatelet dimanche 20 Août à 3:30 dans l’après-midi. Olga était venue à ma rencontre pour que nous puissions discuter un peu dans ma voiture comme elle n’avait pas l’intention de faire la course glaciaire avec nous. Nous avons rapidement préparé l’équipement et les vivres de course et sommes tous montés dans la voiture de Pierre. Nous étions 5: Pierre, Romain, les deux André et moi. Nous avons conduit jusqu’aux Hauts de Villaroger puis laissé la voiture pour grimper au refuge Turia par le sentier.

Nous y avons rejoint André, Martine, Christian et Nicole du CAF de Grenoble. Comme ils étaient arrivés tôt au refuge, ils étaient montés jusqu’au pied du glacier pour baliser l’itinéraire de cairns afin de nous permettre de monter dans la nuit le lendemain matin. Après avoir dîné ensemble et fait la vaisselle, nous étions tous dans nos couchettes à 8h, prêts pour le début du concert de toux et ronflements nocturne.

Réveil à 4h, (sauf pour Martine qui avait décidé de ne pas faire la course) petit déjeuner et départ à 4h45 dans la nuit noire avec nos frontales. Le froid est supportable. Nous sommes 8, bons pour 2 cordées de 4. André du CAF de Grenoble passe devant pour repérer (avec beaucoup de difficulté) la trentaine de cairn ériges la veille pour nous permettre de progresser dans la nuit jusqu'au pied du Glacier Nord de la Gurraz. La marche dans la nuit totalement noire dure environ 1h. Un jour pâle se lève quand nous atteignons le pied du glacier. Juste assez de lumière pour enfiler les baudriers, chausser les crampons et s’encorder. Pierre et Romain décident alors de faire demi-tour vers le refuge. Nous restons à 6 pour la course: 2 cordées de 3. Je suis entre les 2 Andrés du CAF de Moutiers tandis que l’autre Nicole est entre André et Christian du CAF de Grenoble.

Le pied du glacier est parsemé de pierres et la progression est lente. La brume tarde à se déchirer et nous sortons GPS et carte IGN pour essayer de repérer un chemin entre les crevasses ouvertes et apparentes et les autres, pires puisque indécelables. Mais le jour glorieux ne tarde pas à se lever et à dissiper la brume et c’est la fête du soleil qui illumine de rose les sommets. Tous les nuages sont maintenant en-dessous de nous. Le refuge que nous avons quitté dans la nuit doit être dans le brouillard total. Nous passons presque sans nous en apercevoir du glacier Nord au Glacier Sud de la Gurraz et progressons assez rapidement dans les majestueux séracs sur une bonne couche de neige fraîche et vierge (mais bien durcie - il fait plutôt froid car nous venons de passer le cap des 3,000m), sur laquelle on devine cependant par endroit quelques traces. Le sommet est en vue mais très très loin, très très haut. D’où nous sommes, il semble impossible à atteindre en une journée. Nous varions entre quelquefois une montée assez douce et très longue ponctuée par quelques murs un peu plus raides mais la glace tient bien. Nous passons sur le 3e et dernier glacier: le Glacier de la Savinaz, avant d’atteindre le sommet à 3,601m.

Nous atteignons le sommet en passant par une étroite arête vers 10h30, par un temps magnifique avec un panorama unique. Au dessus d’un paysage grandiose de neiges éternelles, le ciel est bleu marine très foncé, presque noir… les fameuses étoiles de midi… De là on voit toute la chaîne des Alpes, Mont Blanc, Aiguille du Glacier, les Grandes Jorasses, le Matterhorn, le Monte Rosa, le Monte Viso. La visibilité est d’au moins 150km tant l’air est pur. Et, bien sur, plus près nous reconnaissons toutes nos montagnes, le Glacier de la Grande Sassière, la Grande Casse, la Grande Motte, l’Albaron.... Nous mangeons rapidement quelques vivres de course avant d’amorcer la descente qui va me paraître interminable mais ça je ne le sais pas encore, toute à la joie de mon premier 3,600m.

Un vent glacial et furieux s’est levé mais le soleil est toujours là, tout près. La première partie de la descente se passe bien et nous pouvons voir l’immense chemin parcouru, sans nous en être aperçus tant nous étions concentrés à poser un pied devant l’autre et à bien l’assurer avant de retirer le premier. Mais vite les choses se gâtent. La neige, très dure quelques heures plus tôt ne porte plus. Nous nous enfonçons à chaque pas jusqu'à la taille et la progression devient très lente, très difficile et très fatigante. En effet il faut extraire la jambe arrière du gros trou où elle est le plus souvent coincée pour la propulser en avant dans le trou suivant. Cela prend beaucoup de temps et d’énergie et de l’énergie je n’en ai hélas plus beaucoup, après les 6 heures de montée. Mais nous n’avons pas le choix, il n’y a pas d’alternative à descendre tout de suite car plus on attend plus la neige ramollit donc pas question de s’arrêter pour se reposer une minute. En plus, l’angoisse me prend en pensant à ce frêle pont de neige que nous avons passé tôt le matin et qui était alors suffisamment dur pour porter notre poids. André, 3e de cordée avait dû s’arc-bouter sur son piolet pour assurer André, 1er de cordée pour qu’il le teste puis l’emprunte. Dans quel état sera-t-il quand nous l’atteindrons?

La descente est interminable. J’ai l’impression de parcourir dix fois plus de chemin qu’à la montée et pourtant notre trajectoire est bien plus directe, droit dans la grande pente, mais je n’ai pas le temps d’avoir peur, tant je suis concentrée à rassembler le peu de mes forces restantes pour absolument continuer à mettre un pied devant l’autre. Le glacier n’en finit plus. Les somptueux séracs sont imposants.

Au bout de longues heures nous parvenons enfin à la glace vive. Là, on n’enfonce plus, au contraire il faut enfoncer les crampons dans la glace sous laquelle court l’eau vive. La montagne résonne de torrents souterrains et j’attends (sans impatience aucune évidemment) le moment où la croûte de glace vive va céder sous notre poids et où nous prendrons un bain improvisé dans l’eau glacée. Ce bain ne serait d’ailleurs pas du luxe parce que nous ne nous sommes pas lavés depuis deux jours mais cependant je n’y tiens pas. Ce glacier du bas, qui m’avait semblé si court le matin n’en finit plus non plus et je me demande si nous atteindrons un jour les bons rochers où nous pourrons ôter crampons et baudrier pour marcher enfin normalement. Dans la vie, avec patience et persévérance, tout finit par arriver. Enfin nous pouvons nous défaire de notre équipement et partager quelques vivres de courses. Mais nous ne savons pas que nous ne sommes pas au bout de nos peines.

En effet, bien que le soleil éclaire maintenant le paysage que nous avons parcouru dans le noir au petit matin, nous ne retrouvons pas les cairns et la descente dans les énormes blocs qui cèdent sous nos pas est périlleuse et très fatigante. Les sacs sont lourds puisque nous devons maintenant porter crampons et baudriers en plus. Nous naviguons au jugé. Finalement le refuge est en vue mais il restera en vue très longtemps et j’ai l’impression que plus nous avançons, plus il recule. Enfin voici quelques brins d’herbe et Martine, venue à notre rencontre.

Arrivés au refuge, je suis trop épuisée pour faire mon sac et pourtant il faut bien y mettre les quelques affaires que j’y avais laissé le matin. Mes mains saignent, abimées par le piolet et le froid. Nous partageons un bon moment tous ensemble autour d’un thé bien chaud et trions ce qui reste de nos provisions pour les laisser pour le gardien du refuge et le berger. Nous enlevons nos vêtements chauds pour enfiler des shorts pour la descente vers le hameau de la Gurraz à 1,600m. Encore 2h de marche avec de lourds sac à dos avant d’atteindre la voiture qui nous y attend.

Malgré la fatigue et l’angoisse, comme toujours c’est seulement le bonheur qui subsiste après une longue course. Là-haut, dans la pureté totale, les sentiments sont différents. Les petites misères quotidiennes des gens de la plaine paraissent dérisoires. Rien n’a d’importance. C’est la communion totale avec la nature, avec soi-même. Pendant l’interminable descente mon leitmotiv était: « plus jamais ça » mais maintenant je n’ai plus qu’une envie: y retourner.

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